Edition spéciale de Pas de Côté ce dimanche à l’occasion de la “fuite” d’un document de travail du GIEC.
La fable de la grenouille et de la casserole…
Que se passe t-il si vous jetez une grenouille dans de l’eau bouillante ? Elle bondit et s’en extirpe instantanément par un élan de survie.
Imaginez maintenant la même grenouille posée dans une casserole d’eau froide. Si vous augmentez la température très progressivement, la grenouille ne saute pas.
Lorsque la chaleur n’est plus supportable, elle tente de bondir, mais n’a plus la capacité physique de s’extraire de la casserole.
Est-ce l’eau bouillante qui a tué la grenouille ou son incapacité à percevoir le danger et à réagir en conséquence ?
Le “climate leak”
Ce mercredi 23 juin, un “brouillon” de rapport du GIEC a fuité dans la presse. L’AFP en a relayé la teneur.
Il s’agit d’un document de travail du groupe 2, celui qui étudie les impacts, la vulnérabilité et l'adaptation au changement climatique.
Pourquoi c’est un évènement ?
Le dernier rapport du GIEC date de 2014. Depuis sa création en 1988, le GIEC a produit 5 rapports. La sortie d’un rapport du GIEC est le résultat d’un travail colossal, c’est donc un évènement en soit.
Le prochain rapport (l’AR6) est prévu pour 2022. La “fuite” de ce mercredi est donc complètement inattendue.
C’est quoi le GIEC ?
L’acronyme GIEC (IPCC en anglais) signifie : groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
L’existence du GIEC est un petit miracle :
Il parvient à regrouper 195 pays
Ses travaux font référence et sont unanimement reconnus
Il sert de socle aux décisions politiques (l’Accord de Paris par exemple)
Le GIEC ne mène pas de recherches, ne créé pas de modèles, il évalue et synthétise les travaux de recherche réalisés dans le monde entier sur le climat.
Il est composé de trois groupes :
Le groupe 1 travaille sur les principes physiques du changement climatique
Le groupe 2 traite les impacts, la vulnérabilité et l'adaptation au changement climatique (la fuite vient donc de ce groupe)
Le groupe 3 étudie les moyens d'atténuer le changement climatique
Ses rapports ont notamment démontré l'ampleur du réchauffement, sa causalité (les activités humaines), ses conséquences, et les risques d'accélération.
Le GIEC a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2007 pour son impact sur la diffusion des connaissances scientifiques sur le changement climatique.
Le projet de rapport est-il alarmant ?
Ce n’est pas le rapport qui est alarmant, c’est le changement climatique qui l’est.
Le projet de rapport questionne très clairement l’habitabilité de la Terre et la survie de l’espèce humaine. Voilà ce qui y est écrit :
“La vie sur Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes.
L'humanité ne le peut pas”.
Il ne s’agit pas de sauver la planète (elle nous survivra évidemment), mais d’y maintenir les conditions pour qu’elle reste habitable pour l’homme.
Les mots employés sont aussi clairs que forts.
En complément des mots, quelques chiffres sont absolument vertigineux. S’il ne fallait en retenir que deux : même en restant sur la trajectoire +2 degrés, 400 millions de personnes supplémentaires auront soif, 80 millions de personnes supplémentaires auront faim.
Qu’y a t-il de nouveau dans ce projet de rapport ?
1/ Des conséquences concrètes bien plus rapides.
Le rapport pointe des conséquences “cataclysmiques d’ici à 30 ans au plus tard.
Il n’est donc plus question des fameuses “générations futures”. C’est pour notre génération et celle de nos enfants.
2/ Un seuil d’alerte plus bas.
Même en limitant le réchauffement d’ici la fin du siècle à +2 degrés (par rapport à l’ère préindustrielle), nous risquons des “conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles”. Le seuil d’alerte est désormais à +1,5° d’ici 2100.
Ndlr : nous sommes déjà à +1,1° en 2020.
3/ La question des points de bascule.
Le projet de rapport alerte sur le risque de dépasser des seuils qui provoqueront des changements violents et irréversibles. Sont notamment citées l’Amazonie ainsi que la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest.
4/ Un niveau d’impréparation très inquiétant.
Baisse significative des rendements agricoles, montée des eaux, pénurie d’eau… Il n’est pas ici question de lutter contre la survenance des risques, mais de mettre en place des actions pour d’adapter et atténuer les chocs. Les conséquences du réchauffement sont bien connus mais le monde ne s’y prépare pas.
Faut-il le prendre avec des pincettes ?
Oui, clairement oui !
J’ai hésité longuement avant d’en parler ce dimanche. Mais comme il est partout dans la presse, autant justement en exposer les limites.
Voilà ce qu’en dit notamment François Gemenne, un des auteurs français du GIEC.
François Gemenne nous invite à respecter ce qui rend les rapports du GIEC unanimement reconnus : le travail colossal de validation, de revue et de relecture.
Dont acte. Soyons patients et attendons 2022.
Cela dit, rien ne nous empêche d’ici là de quitter notre costume de grenouille et de bondir hors de la casserole du réchauffement climatique !
Le projet de rapport nous y invite :
Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement“
“Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation“.
Let’s jump !
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