Je suis très heureux de vous retrouver ce dimanche pour un numéro très spécial de Pas de Côté. Un numéro écrit à 4 mains avec Marianne Roussel, la créatrice de la newsletter Les Colibris Français.
Les Colibris Français, c’est un média engagé qui parle de l’emploi dans les entreprises à impact social et environnemental. Marianne a le talent pour trouver des acteurs passionnants et inspirants qu’elle interviewe.
Nous avons décidé de nous éloigner un peu de nos thèmes de prédilection pour vous parler d’un sujet pas du tout fantastique : le plastique.
Comment rester insensible face à ces robinets ouverts qui déversent sans discontinuer des tonnes de plastiques. Allégorie implacable de notre consommation frénétique, instantanée et jetable.
L’art a cette faculté de nous bousculer, de nous faire sortir du statut quo. L’art et plus généralement la culture participent aussi au récit collectif dans lequel nous évoluons. Quelle claque ces robinets !
L’œuvre de Benjamin Von Wong est puissante et esthétique. Hélas le constat dénoncé est bien réel.
Mais au fait, on en est où sur ce sujet ?
Ce thème est absolument tentaculaire. S’il est impossible de le traiter en seulement quelques lignes, tentons tout de même d’y voir plus clair avec quelques chiffres :
Une production exponentielle…
La production mondiale de plastique a été multipliée par 2 depuis les années 2000. Ce matériau réalisé à base de pétrole est absolument partout autour de nous.
Parlons un instant des emballages qui représentent 40% des usages. Sitôt utilisés, sitôt devenus déchets : une “durée d’utilisation” très courte mais “durée de vie” très longue dans la nature (plusieurs centaines d’années).
… pour un impact écologique exponentiel
10 millions de tonnes de plastiques sont déversés chaque année dans les habitats marins. La fondation Ellen Marc Arthur a déjà lancé l’alerte depuis 5 ans : en 2050, il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans.
La moitié des plastiques présents en mer sont des objets à usage unique.
Le fameux concept du 7ème continent de plastique qui flotte à la surface de l’océan marque les esprits. Ces agrégats de déchets feraient plus de trois fois la superficie de la France.
Il n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg. L’océan est aussi rempli de microplastiques, non visibles à l’œil nu, provenant des dégradations de gros déchets, des résidus de fibres de vêtements, de microbilles présents dans des cosmétiques…
Il va sans dire que ces quantités ont des impacts désastreux sur la biodiversité. L’IPBES, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, a documenté ce point dans son rapport de 2019. Les mots sont forts :
“La pollution marine par les plastiques, en particulier, a été multipliée par dix depuis 1980, affectant au moins 267 espèces, dont 86% des tortues marines, 44% des oiseaux marins et 43% des mammifères marins. Ceci peut affecter les humains au travers des chaînes alimentaires”.
Chassons une idée reçue tenace
“C’est bon, je trie mes déchets, le plastique est jeté dans la poubelle jaune, donc il sera recyclé”.
Oui mais non.
En réalité, seuls 29% des emballages plastiques collectés sont recyclés. Ce chiffre est sidérant. 7 déchets plastiques sur 10 de notre poubelle jaune ne sont pas recyclés.
Pourquoi un taux si faible ? Certains déchets sont composés de multiples couches et matières imbriquées. Cela rend le recyclage trop complexe et/ou trop cher (cf la vidéo ci-dessous sur les pots de yaourt.)
Autre raison à ce faible taux de recyclage : tous les plastiques ne sont pas recyclables.
Mais alors, où vont les plastiques non recyclés ? Ils sont en grande majorité brûlés pour produire de l’énergie, ou déposés dans des décharges (l’article en lien du Parisien est très bien pour aller un peu plus loin).
En bref, cette histoire de tri et de recyclage (bien que nécessaire) est aussi un moyen de déculpabiliser le consommateur pour qu’il continue à acheter sans trop se poser de questions.
Alors on fait quoi ?
A titre individuel, on essaie de mettre en pratique la méthode “zéro déchet” des 5 R :
Refuser lorsque je n’en ai pas réellement besoin. Exemple : un goodies.
Réduire. Exemple : acheter en vrac.
Réutiliser pour éviter d’acheter à nouveau. Exemple : la consigne.
Recycler (en dernier recours)
Rendre à la terre (valable pour les déchets organiques, pas pour le plastique)
Pour ce sujet comme pour bien d’autres, le geste individuel est nécessaire mais pas suffisant. La pression doit s’exercer sur les entreprises et les politiques pour aboutir à un changement systémique.
En France, la loi anti-gaspillage a déjà fait évoluer la règlementation. Son objectif est d’atteindre le zéro plastique jetable… d’ici 2040. C’est toujours trop peu et trop lent, mais la tendance au durcissement des règles semble désormais bien enclenchée.
Alors on fait quoi (bis) ?
On part écouter ce que les acteurs de terrain ont à nous dire. Ceux qui agissent pour mettre fin à cette folie du tout plastique.
C’est là que le talent de Marianne entre en scène. Marianne est allée dénicher 3 acteurs d’initiatives qui font du bien ! Toutes visent à réutiliser, réduire ou à supprimer le déchet plastique.
RÉUTILISER LE PLASTIQUE AVEC FIL & FAB
L’histoire de Fil & Fab commence en 2015, lorsque Yann, Thibaut et Théo, diplômés d’un master en design de produit, souhaitent s’associer autour d’un projet commun. Ils partagent tous les 3 un intérêt pour l’écologie et l’éco-conception. Lorsque Thibaut rejoint une formation dédiée au design pour la transition aux Beaux Arts de Brest, il a un an pour concrétiser un projet : les 3 amis décident de s’y mettre ensemble. Le projet en lui-même naît quand Thibaut et Théo, sous les coups de 2h/3h du matin, buvant des bières sur le port de Brest, remarquent des filets de pêches empilés les uns sur les autres. Pour eux, il y a peut-être une problématique là-dessous…
LA DEMARCHE
Raconte-moi le projet Fil & Fab ? :)
On a créé l’entreprise en 2019. On recycle des filets ramenés au port par des pêcheurs car ils sont trop usés pour être réutilisés. Ces filets de pêche n’ont pas de solution de re-valorisation ou de recyclage qui se fait en France. Pourtant leur volume est important et c’est un matériau de qualité. Les pêcheurs font le gros du travail en les ramenant, en les stockant et en les collectant. Mais derrière ils ne sont pas recyclés. La réponse qu’on apporte est donc de monter une filière du recyclage de ces déchets, localement, en Bretagne, en Normandie et en Occitanie.
VOTRE MÉTIER
Comment vous vous y prenez ?
Après avoir récolté les filets auprès des pêcheurs, gestionnaires de port et collecteurs, les filets sont triés dans les locaux de Fil & Fab, à Plougonvelin. On travaille avec une structure d’insertion sociale pour les personnes handicapées, qui s’occupent de la partie tri. Un travail indispensable pour séparer les différents matériaux du filet. Ensuite, les filets sont broyés, permettant l’obtention d’un granulé, qu’ils ont appelé “Nylo”. Une fois ce produit fini obtenu, Fil & Fab à accompli son rôle de transformation du filet en matière première.
On accompagne ensuite nos clients dans l’utilisation de ces filets pour les transformer en objet.
VOS CLIENTS
Qui sont vos clients ?
On va avoir des professionnels de l’industrie plastique ( injecteurs, techno formeurs…), des designers qui souhaitent utiliser le matériau. On a un rôle d’accompagnement partout, on est multi-casquette. C’est pour ça qu’on se considère comme une filière de revalorisation, dans le sens où on met en lien tous ces chaînons pour aboutir à un déchet qui est revalorisé.
Pour en savoir plus sur Fil & Fab, les acteurs de leurs réseaux, leur fonctionnement interne et leur équipe, retrouvez l’interview complète de Yann Louboutin, ICI.
SUPPRIMER LE PLASTIQUE À L'ÉCHELLE DU CONSOMMATEUR AVEC LES BOCAUX D’ANA
Pour Ana, entrer dans la démarche du zéro déchet ne s’est pas faite du jour au lendemain. Elle a changé ses habitudes petit à petit et a commencé par repenser à sa manière de consommer, puis de travailler. Dans le cadre de son travail, c’est d’abord à l’hôpital, où elle exerçait le métier d'infirmière, qu’elle a changé ses pratiques, et en décembre 2019, elle quitte sa blouse pour se lancer dans le commerce, avec l’ouverture d’une boutique Vrac & Bio, à Brest.
LA DÉMARCHE VRAC
Ana, comment le vrac permet de diminuer le plastique ?
Pour le client, peu importe la quantité qu’il va prendre, consommer du vrac lui évite d’avoir un sachet en plastique pour chaque produit acheté. À la place de proposer 50 sachets plastiques de 500 grammes, on achète les produits en 10kg ou en 25kg, ce qui limite bon nombre de déchets supplémentaires. Les clients viennent faire leurs courses avec leurs propres contenants réutilisables ( bocaux, bouteilles en verre et en plastiques, sacs tissus et sachets réutilisables ) et peuvent aussi acheter des produits en contenants consignés.
FOURNISSEURS
Comment as-tu fait le choix de tes fournisseurs ?
Je souhaitais sélectionner des produits locaux et bio et des acteurs dans la démarche zéro déchet. Quand je ne suis pas parvenue à trouver des produits où tous les critères sont présents, je privilégie toujours le zéro déchet. Par exemple, le lait qu’on vend dans la boutique est non bio mais produit en agriculture raisonnée, locale et conditionné dans des bouteilles consignées.
Comment s’opère la réduction des déchets en amont, côté fournisseurs et producteurs ?
Côté fournisseurs, pour conditionner les aliments en vrac, certains proposent leurs produits dans des seaux et contenants en verre consignés, des emballages en carton, en sachet en composition végétale ou en bioplastique. Il y a aussi des fournisseurs qui ne pratiquaient pas la consigne et qui ont accepté de le faire, comme la Ferme de Gwel Ar Mor à qui j'avais fait une demande pour mettre en place le lait en bouteilles consignées et les yaourts en pots en verre.
On reçoit quand même des emballages dans le cadre des livraisons. Les emballages permettent de sécuriser la livraison et les aliments. Si c’est du jetable, il faut que ce soit réutilisé. C'est-à-dire que lorsqu’on reçoit un sac qui transporte des céréales, il ira soit au recyclage, soit il nous sert de poubelle. On ne peut pas réduire à 100% les déchets aujourd’hui, mais on arrive toutefois à limiter énormément notre impact par rapport à un commerce classique.
Pour en savoir plus sur Les Bocaux d’Ana, retrouvez l’interview complète d’Ana ICI.
RÉDUIRE EN SENSIBILISANT AVEC L’ASSOCIATION ZERO WASTE FRANCE
Elodie est membre du Groupe local de Zero Waste France en Nord Finistère pour tendre vers un territoire zéro déchet. Cette asso Nationale informe, agit, milite pour la réduction des déchets et contre tous types de gaspillage. Créée en 1987, elle regroupe aujourd'hui 3 830 adhérent·es qui participent à son financement. Rien qu’en Bretagne, il existe 7 groupes locaux pour mener des actions de sensibilisation auprès de différents publics.
LES ACTIONS
Quelles sont vos actions au sein de l’asso Zéro Déchet Nord Finistère ?
On fait beaucoup de stands de sensibilisation lors d’événements. Prochainement on sera présent lors d’un événement sportif par exemple.
Des ramassages de déchets avec toujours de la sensibilisation derrière. En effet, un simple ramassage des déchets ne permet pas de limiter son usage, il est important d’expliquer que c’est l’achat des bouteilles en plastique qui contribue à ce qu’elles se retrouvent sur les plages.
On organise aussi des conférences, qui permettent d’échanger et de toucher plus de monde.
Et on lance des campagnes de communication comme “mon commerçant Zéro Déchet”, qui s’adresse aux commerces de proximité : grâce à un autocollant présent sur les vitrines des commerçants, les clients peuvent identifier les commerces qui acceptent de prendre la boîte ou le tuperware.
PUBLIC TOUCHÉ
Qui sensibilisez-vous ?
Les écoles.
Les entreprises pour sensibiliser à la réduction des déchets au bureau.
En conférence, on rencontre souvent des personnes déjà convaincues mais aussi des personnes qui se trouvent dans un entre-deux : intéressées par la démarche mais qui ne sont pas encore passées à l’action.
Comment sensibilisez-vous ?
On parle de l’économie de temps que génère l’usage de contenants réutilisables : c’est du temps d’économisé à se rendre à la déchetterie par exemple, lorsqu’on a pas de collecte de poubelle dans sa ville.
On répond aussi à certaines injonctions. Par exemple, on m’a dit récemment : “Je ferai des efforts quand les industriels en feront et arrêterons de rouler avec leurs gros 4X4.” J’ai répondu en expliquant que “c’est grâce à vous qu'ils achètent leurs 4X4 lorsque vous achetez leurs produits.”
VALEURS
Quelles sont les valeurs de l’asso ?
Concernant les valeurs sur l’ensemble de Zero waste France, elles tournent autour de la sensibilisation, l’éducation, la pédagogie, la communication.
Pour en savoir plus sur Zero Waste France, leurs actions ou devenir bénévole, rendez-vous sur leur site ICI.